Qu'attendre du système ?

Qu'attendre du système ?

Publication lettre 67 - 11.04.2016

Que pouvons-nous attendre de notre système académique en matière de défense de l'intégrité scientifique ou personnelle ?

Essayons de comprendre pourquoi associations savantes, éditeurs et établissements ne parviennent pas à traiter les cas toujours plus nombreux de manquement à l'intégrité : plagiat, fraude, ghostwriters… Pourquoi l'omerta subsiste-t-elle ? Pourquoi restons-nous insatisfaits des protocoles organisationnels de gestion de ces cas ? Peut-on apaiser les communautés ?...

Merci de raconter une (ou plusieurs) des aventures que vous avez vécues en répondant en toute liberté et confidentialité : Accès questionnaire en 10 étapes.

Voici les premières dimensions de ce "fait social" qui nous concerne.

 

•  Vignette 1 : La fuite

 « Avant mon congé maternité, j'avais réalisé une synthèse originale de travaux. Je l'ai envoyée à des collègues travaillant avec moi sur un projet de recherche tout en sachant que ce n'était pas le cœur de notre projet, mais cela nous ouvrait des pistes de  réflexion futures. Ayant eu une grossesse délicate avec un retour tardif, j'ai pris connaissance de l'utilisation de mon travail pour l'HDR d'un collègue sans qu'une seule virgule soit changée et dont certains passages ont été repris tels quels dans un de ses articles. Bien entendu,  jamais je n'ai été informée de cette utilisation dans mon laboratoire… que peut faire une jeune collègue face à un "vieux collègue" devenu directeur du laboratoire ? Ma solution : partir ! »   

« Découverte du plagiat d'un collègue et sa dénonciation par la voie de service. Le plagiat a été traité de « plagiat par négligence » et considéré comme une faute mineure. L'affaire est devenue une affaire d'Etat et une affaire judiciaire avec des enjeux de pouvoir, de réseaux que finalement personne n'a vraiment compris. Le plagieur par négligence a reçu des ressources supplémentaires avec lesquelles la faculté a engagé un nouveau professeur qui a apparemment plagié aussi sa thèse. Un tiers des professeurs ont quitté la faculté.  »

•  Vignette 2 : La crainte des rumeurs

  « J'étais président d'une université qui n'avait aucune procédure pour traiter ce type de situation. Un enseignant dispensait un cours en reprenant la présentation .ppt d'un autre collègue récupérée sur Internet, sans citer sa source. Des étudiants d'une association locale ont découvert le plagiat en naviguant sur le web, pris contact avec le collègue plagié et ont voulu en faire une  campagne alors que l'établissement engageait l'utilisation d'un logiciel anti-plagiat. Au lieu de saisir l'institution, ils ont entamé une campagne de dénonciation publique de ce plagiat à travers une association. Elle était en congé sabbatique et a voulu assurer un cours (que personne ne prenait) - donc non rémunérée - en recourant à la facilité. Elle a commis une faute dont elle subit les conséquences. Si la dénonciation avait porté sur un professeur individualiste, prétentieux et insupportable, j'aurais probablement vécu différemment cette situation. »

  « Le plagiat etant mal reglemente et reconnu, la plagiomanie est frequente. Un jeune docteur a ete accuse de plagiat par un autre jaloux, et d'une discipline differente. Celui-ci a contacté l'editeur de la these, les presidents des universites et les membres decisionnaires de la qualification. Il s'agit d'un conflit d'interet qui embourbe la future carriere d'un jeune docteur. La mode des accusations de plagiat entraine des derives. Une personne reconnue peut briser des carrieres : cela releve aussi de l'ethique scientifique et les enjeux politiques d'une fac deja concernee par des cas de plagiat entraine la negation de la presomption d'innocence.»

 

•  Vignette 3 : La banalisation

 « Un mémoire de recherche de niveau Master comportant des emprunts massif à un ouvrage publié. Ce type de situation est devenu banal dans les établissements. Le cas était flagrant et incontestable. Il méritait une sanction forte pour fraude. Le jury de délivrance du diplôme n'a exigé qu'un nouveau mémoire et l'intéressée a finalement obtenu son diplôme. Le plagiat n'a pas été traité comme une faute et un délit, mais comme une insuffisance qualitative qu'il suffisait de corriger par un nouveau travail.»

 « Reprise par Mr Y du résultat de M. X, même méthode, même qualité de résultat. Or, dans les publications Mr Y ne cite jamais les publications de M. X, comme si Mr Y avait été à l'origine de l'idée d'utiliser cette méthode. C'est assez caractéristique de tous les petits ou moins petits manquements touchant les publications et leurs auteurs (le nerf de la guerre) qui peuvent ternir nos comportements et engendrer des conflits. Finalement, rien ne s'est fait. M. X étant fatigué de son isolement et de ces pratiques qui ne sont pas nouvelles a du mal à 'attaquer'. Dans la mesure où il ne veut pas attaquer, la hiérarchie ne bouge pas.»

•  Vignette 4 : Le déni

 « Un article a copié collé des passages entiers d'un livre que j'ai écrit l'auteur m'a affirmé qu'il ne l'avait pas lu et a fini  par avouer que "quelqu'un" lui avait donné des notes de lecture j'ai exigé et obtenu de la revue que cet article ne puisse plus être  téléchargé contre paiement et de l'auteur la garantie qu'il retirait cet  article de sa liste de publications l'auteur n'a en fait jamais reconnu  le plagiat, acceptant qu'il y avait beaucoup de "points communs' entre  l'article et mon livre. Il se trouve que l'auteur appartient à mon  université et mon groupe hospitalier. Je ne pense pas que ceci soit  l'effet du hasard. J'ai fini par penser que le "quelqu'un" devait être une personne à qui j'avais donné mon livre, mais sans certitude. Résultat : vanité blessée en tant que plagié et l'étonnement devant le déni. » 

 « Le responsable des accréditations de mon institution, âgé de 67 ans, s'est prévalu d'un Ph.D. de X(USA), alors qu'il avait juste commencé une thèse qu'il n'a jamais terminée la rumeur courait depuis des années, il était couvert, et même démasqué, il reste protégé par la direction. Son cv, tous ses documents font aujourd'hui état, de " doctoral studies". Il continue a polluer la vie de notre institution, et pire comptabilise nos publications, et donne à la direction les infos pour sanctionner les professeurs qui ne publient pas assez. Ubu Roi ... ou Cahuzac ! »

 

•  Vignette 5 : La puissance

 « Mon directeur de thèse a obtenu un prix de l'académie des sciences pour entre autres des résultats que j'avais  établis seule. J'ai été informé de ce prix par le journal Le Monde. Je  pense qu'en reconnaissance de mon travail, il aurait au moins dû m'en parler au préalable et aussi me remercier. La personne qui avait porté  le dossier à l'académie des sciences savait qui (en l'occurrence moi) avait "au labo" fait le boulot. Je n'ai rien demandé ni signalé. Quand  j'en ai eu connaissance, j'ai pensé qu'il était trop tard pour agir. Le  destin de ce cas a été scellé dès que mon directeur a décidé de ne rien me dire. C'est à dire avant même qu'il ait le prix. Il savait que je ne saurais pas faire la publicité à mes résultats. Ça a été un handicap  pour moi et une aubaine pour lui. Par la suite, j'ai essayé de mieux "marquer" mes résultats et réalisations de recherche avec un succès toutefois mitigé. »  

 « Un directeur de thèse essaie de publier mes travaux de  doctorante (rédaction d’une prépublication avant soumission) qui lui  raconte ses progrès semaine après semaine. La doctorante aurait vu son travail volatilisé. Ou volé. Par chance les travaux de la doctorante  résultaient de discussions avec un autre professeur. Ainsi, lorsque la  doctorante s’est plainte à la direction de son département, l’incrédulité a pu être dissipée en consultant ce témoin. Cela a levé rapidement tout soupçon d’hystérie ou d’affabulation chez la doctorante.  Il a été demandé à la doctorante de ne pas faire de bruit, en échange de quoi son directeur de thèse serait changé. »  

« Un doctorant et son directeur de recherche ont publié la partie "centrale"(algorithme et concepts) de ma thèse dans un article (sur environ 8 pages au total, au moins deux pages complètes étaient un copié/collé de pages de ma thèse....traduites en anglais). J'ai pu même me rendre compte que même l'exemple avait été copié/collé sans même avoir été redessiné (j'ai reconnu mes tremblements dans certains traits !!). Là où je trouve cela grave c'est que cet article a été cautionné par le directeur de thèse qui m'a d'ailleurs donné lui-même la raison du plagiat en s'excusant par mail une fois que j'ai pris contact avec eux... J'ai d'office mis en copie mes collègues de labo qui connaissaient mon travail (une personne de mon jury de thèse et le collègue m'ayant invité pour présenter mon travail alors que le doctorant et son directeur écoutait). Mais je n'ai pas eu de réponse du deuxième et le premier m'a dit que mieux valait résoudre ça par oral...» 

•  Vignette 6 : La violence

« Expérience désastreuse vécue : Soumission dans une revue scientifique de haut niveau d'un article. Rejet de l'article en première soumission. Re-soumission du papier qui a finalement été publié. Entre la re-soumission et la publication, le temps s'écoule et nous voyons par hasard sur internet le papier repris sur plusieurs points par une sommité du domaine de recherche. Nous comprenons alors qui a rejeté notre papier en première soumission et qui le reprend sans citer sa source à son compte dans un working paper. C’est un cas important à signaler compte tenu de l'anonymat des rapporteurs auxquels certaines revues scientifiques tiennent. En effet, ne sachant de prime abord qui rapportent souvent les papiers soumis, il peut être très facile à un fraudeur de reprendre à compte les idées d'un article qui n'a pas été estampillé dans une revue sans citer ses sources. »

« Un professeur dirige des fouilles. De sa fonction de Directeur il a le droit de charger des jeunes collègues d'étude des matériaux divers. Ca se faisait sans preuve écrite, tout était oral, basé sur la confiance. Un jeune ne met pas à priori en question son Directeur. Toujours, comme par hasard, les résultats apparaissent d'abord dans ses propres publications. Il est vrai, parfois avec un renvoi, mais la référence sera désormais à son nom et à la suite il y renvoie exclusivement, en "oubliant" la publication primaire, qui était fruit du travail minutieux et lent sur le matériel. Les publications du collaborateur sont systématiquement oubliées dans ses citations. Et puis, s'y ajoute le soutien systématique et répétitif aux jeunes collaboratrices qui partagent son lit. Ceci est récompensé avec des bourses, des financements de recherche, des co-écritures d'articles. Peu à peu ceux qui s'y opposent sont éloignés. Ils ne disposent d'aucune preuve écrite, le système ne veut pas savoir. Le travail semi-fini lui est retiré, on en charge des jeunes, ambitieux pour la faveur du Professeur. Celui qui revendique la déontologie est bloqué dans sa carrière, subit des harcèlements administratifs, isolé dans le milieu professionnel.»

 

•  Vignette 7 : L'humiliation 

« Mon mémoire de master recherche a été plagié par une étudiante de la promotion suivante. Je m'en suis aperçue en consultant  par hasard son mémoire. Les enjeux : l'exploitation indue et non reconnue de mon travail et la poursuite en thèse de cette étudiante.  J'ai signalé ce plagiat et rien n'a été fait au sein de mon institution, dans la mesure où cette étudiante n'était pas admissible en thèse dans mon université au vu de son niveau global. Rien n'a été fait pour ne pas froisser les personnes (encadrants notamment), ne pas s'engager dans une  procédure complexe. Son plagiat est par contre resté inaperçu et elle a pu entrer en thèse dans une autre université. »

« Mémoire de master 2, recherche. Le candidat présente un document dont très peu de lignes sont de lui. Il a donné son document très en retard, presque personne ne l'a lu, seuls deux collègues ont pris le temps et se sont aperçus de ce plagiat. Le directeur de mémoire, prévenu, demande que l'étudiant ne présente pas son travail. Nous les entendons depuis la salle, ils sont dans le couloir. Le directeur est furieux, l'étudiant lui répond "Mais bien sûr c'est comme cela qu'il faut faire, d'ailleurs j'ai fait mon mémoire de master 1 comme cela avec vous comme directeur et vous n'avez rien dit !»

 

•  Vignette 8 : La lassitude

 « Une thèse de doctorat dont un membre du jury découvre, quelques semaines avant la soutenance, qu'elle s'apparente à un  patchwork de phrases et de paragraphes entiers repris mot à mot et  empruntés, sans discrimination, à des textes scientifiques en ligne et à  de simples blogs ou sites associatifs, parfois traduits de l'anglais. Ni le directeur de la thèse ni la direction de l'école doctorale n'ont pris jusqu'à présent des mesures qui me semblent à la hauteur de la  fraude. Moi, le membre du jury ayant détecté le plagiat, qui jugeait la soutenance impossible, l'adjonction de quelques références par-ci par-là  ne pouvant compenser un travail de recherche dépourvu de scientificité.  Le directeur de thèse, alerté par mes soins, qui parlait de "maladresse  par méconnaissance des réquisits universitaires" et considérait que l'insertion dans la thèse d'une page mentionnant les "références oubliées" et des excuses lors de la soutenance seraient des mesures suffisantes. »

 « Un doctorant a fabriqué des données qu'il n'avait pas pris le temps de réellement mesurer. Ces données ont été publiées, puis son directeur de thèse au moment de la préparation de sa soutenance s'est aperçu de la fraude du doctorant et lui a demandé de retirer les graphiques correspondant aux données fabriquées. Trois jours plus tard, le doctorant a soutenu sa thèse avec une présentation non modifiée contenant les données fabriquées/inventées. Le doctorant a obtenu son diplôme de docteur avec mention très bien sans que son directeur de thèse ne révèle la fraude aux membres du jury.»