Changement de paradigme

Ce qui nous bloque encore

Publication lettre 66 - 19.01.2016

Les mutations de notre société du savoir en ce début de XXIe siècle appellent un nouveau paradigme que nous nous employons à promouvoir depuis douze ans. Cinq dogmes nous bloquent encore.

 

•  La logique de la cause

Elle est celle de tous les acteurs qui ne peuvent imaginer leur responsabilité au-delà de leur mandat ou de leur travail quotidien. Elle est aussi celle de nombre de juristes qui ne conçoivent le plagiat qu'au prisme du droit d'auteur ou de la contrefaçon, ignorant les particularités du monde académique où il se déploie.

Ainsi, dès qu'un cas de fraude ou de manquement à l'intégrité se produit, leur réflexe est de chercher qui, dans le passé, a commis un acte délictueux. Ils cherchent le coupable au singulier, l'étudiant ou l'auteur, le "ghostwriter" ou le  logiciel de détection faillible. Ils ne s'interrogent jamais sur leurs pratiques ou sur celles de leurs collaborateurs et étudiants. 

Ils sont encore majoritaires, ces pairs arc-boutés sur la logique de la cause, ne comprenant pas (encore) que leur responsabilité est d'ores et déjà engagée dans un futur de la connaissance en danger. 

L'exercice de rechercher parmi les dix conséquences du plagiat celles qui sont déclenchées par chaque cas révélé est un exercice utile. 

 

•   Le petit juge et l’attrait de la sanction

 

Le petit juge est celui qui, s'inscrivant dans une logique de la cause, aspire à mettre une sanction à un contrevenant à notre déontologie. Il souhaite monter des commissions d'enquête, écouter les protagonistes et trancher.

Il essaie, ce faisant, de copier le système juridique. Bien sûr, il est un admirable bénévole qui consacre bien du temps à ces commissions d'enquête académique.

L'ennui est que le type de sanctions émises dans notre monde du savoir ne sert strictement à rien comme nous l'avons vu dans notre cas La sanction et l'impossible oubli. Le petit juge s'est peut-être fait plaisir, mais, loin d'être repenties, les personnes sanctionnées se moquent ouvertement de lui et continuent leur chemin sans le moindre état d'âme.  

Alors, une question lancinante les concerne : devraient-ils informer tous les rédacteurs en chef de revues, ou les responsables de congrès, des sanctions émises à l'égard des personnes déloyales ? Mais ils la chassent de leur esprit : "secret professionnel" et "devoir de réserve" s'appellent désormais "omerta".

 

•   La pensée unique et dialectique

Pour les amateurs de la pensée unique, c'est simple : il y a les fraudeurs et leurs complices d'une part, et les gens honnêtes de l'autre. Toute personne qui ne veut pas "tuer" professionnellement un plagieur avéré rejoint, dans leur schéma perceptuel, les criminels.

Aucun plagieur ne nous a envoyé de courriels aussi acerbes et déplaisants que ceux de certains tenants de la pensée unique. Ils réussiraient presque à faire fuir toutes les bonnes volontés qui aimeraient se mobiliser contre le plagiat et la fraude scientifique.

Expliquons-leur. Il y a plusieurs profils de plagieurs. Par exemple, le "fraudeur" qui est un loup solitaire et le "manipulateur" qui met ses problèmes en scène et nie farouchement ses problèmes d'addiction, même confronté à ses plagiats récurrents. Ces profils appellent des traitements différents. 

De plus, l’omerta institutionnelle est encore très forte. Il est souvent difficile, pour un dirigeant, d'entrer en guerre contre des "raisons politiques" hiérarchiques ou des pairs soudés par des intérêts particuliers.

 

•   La communication du « touch and go  »

Le plus souvent, on ne communique que sous un éclairage événementiel. Chaque cas de plagiat et fraude scientifique est un « dossier de plus », que l'on classera en fin d'analyse après avoir pris une décision qui satisfait la communauté qui en avait été, pour un temps, perturbée.

Puis, on classe le dossier. Pour peu que le délinquant change de lieu et d'institution, seul un parfum un peu trouble l'accompagnera. Tout sera oublié.

Or, si les plagieurs que nous avons dénommés "bricoleurs" ou les "tricheurs" peuvent s'amender après une bonne semonce, les manipulateurs et les fraudeurs le seront... toute leur carrière. La "signature" de ces deux profils ne change pas. Elle s'affine et ils sont plus difficilement décelables ou bien, au contraire, ils prennent le risque de trop et une nouvelle affaire explose soudain. 

Le seul moyen de vivre une communication performative est de développer un langage commun (pas un discours) et de procéder par des analyses rigoureuses selon une méthodologie éprouvée.

 

•  La danse des funambules

Suite à de longs entretiens avec des chercheurs de différents champs, nous avons acquis une certitude : dans chaque domaine des funambules sont présents, témoins de toutes les malversations qui se produisent, mais légers et inconscients, jamais directement concernés, ou si peu. 

Ecoutant se souvenir nos collègues, nous les avons vu stupéfaits d'en découvrir un ou deux dans tous les cas lourds qui ont traversé l’histoire d’une discipline. Un jour membre d’un jury de complaisance ayant validé une thèse plagiaire, un autre jour auteur « invité » d’un article qu’ils n’avaient pas lu, une fois membre de commission politique obscure ayant porté à la présidence un improbable président, parfois ami avéré d'un fraudeur...

Qui sont-ils ces funambules jamais inquiétés ? La plupart sont sympathiques, légers, amusants, honnêtes. Ils acceptent avec grâce de rendre simplement service à des collègues. Ils sont travailleurs aussi et d’accord pour donner un coup de main pour un processus de révision serré. Qui leur voudrait du mal ?

Souvenez-vous de toutes les histoires délicates qui ont émaillé votre discipline et cherchez le funambule...