Réinsérer les plagieurs repentis

Parution 1.10.2015 - Lettre 64

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Réinsérer les plagieurs repentis

Communication du Pr. Armand Darrain

 

- « Bonjour, je m’appelle Jean-Edouard. »

- « Bonjour Jean-Edouard ! » scandent d’une même voix les participants à la réunion.

- « J’ai réussi à m’abstenir pendant deux mois ! »

- « Bravo Jean-Edouard, reprend l’assemblée. »

- « Mais la semaine dernière j’ai rechuté ! J’étais à court d’inspiration et je n’ai pas pu m’empêcher de prendre le mémoire de l’un de mes étudiants, d’en prélever de larges extraits sans le citer, pour en faire un article que j’ai proposé au prochain congrès de l’AIRPUR[1] à Mexico. »

 

J’assiste pour la première fois à une réunion ouverte de la Ligue des Plagieurs Anonymes (LPA), pour soutenir mon collègue Jean-Édouard Neuné[2] qui vient d’y adhérer récemment. Jean-Édouard est professeur dans une université parisienne. C’est le doyen de la faculté d’histoire qui lui a conseillé de devenir membre des Plagieurs Anonymes. Cette proposition lui a été faite alors que Jean-Edouard avait été accusé, à plusieurs reprises ces dernières années, de cas de plagiat de travaux de collègues ou d’étudiants. La révélation de ces cas de plagiat avait non seulement fait du tort à Jean-Edouard, mais avait aussi apporté beaucoup de discrédit aux travaux du laboratoire de recherche auquel il appartient, et plus globalement à son université.

La LPA exerce ses activités avec une certaine discrétion, c’est la raison pour laquelle très peu d’entre nous en ont entendu parler. Elle a été créée par des universitaires et des chercheurs, qui ont été à une époque dépendant du plagiat et qui ont voulu s’en sortir en créant une structure adaptée, capable de prendre en charge la dépendance ou l’accoutumance au plagiat grâce à une philosophie et un programme de réinsertion fondé sur le partage d’expériences et le dialogue. Le désir d’arrêter de plagier est la seule condition pour devenir membre de la LPA, et le but premier de tous les Plagieurs Anonymes est de demeurer abstinents et d’aider d’autres plagieurs à le devenir.

La LPA coopère avec tous les établissements qui ont pris au sérieux la question du plagiat de leurs enseignants–chercheurs et chercheurs et qui souhaitent les aider dans leur démarche de renoncement, partant du principe que si les plagiés apparaissent comme les premières victimes du plagiat, celui-ci a un impact sur l’image du laboratoire et de l’université du plagieur. Il faut dont aider les plagieurs à se soigner et leur donner la possibilité de se réinsérer, pour leur bien-être personnel, celui de leurs collègues, et l’image de leur établissement.

L'adhésion à la LPA et la participation à ses travaux reposent sur le principe de l'anonymat. Les membres ne doivent pas dévoiler les noms d'autres membres aux personnes extérieures ; ce sont donc souvent des pseudonymes qui sont utilisés lors des réunions. En adhérant à la LPA, tous les membres prêtent serment et s’engagent à respecter les dix engagements du Plagieur Anonyme.

 

Les engagements de ce serment décrivent les attitudes et les activités considérées comme importantes pour ses membres dans leurs efforts pour parvenir à la probité scientifique. L’expérience démontre que les membres qui ont fait un effort réel pour observer ces règles et essayer de les mettre en pratique dans leur activité quotidienne découvrent un modèle de recherche entièrement nouveau grâce auquel ils connaissent une abstinence durable.

Outre les réunions mensuelles, la LPA propose à ses membres une permanence téléphonique et, pour les cas difficiles et les cas de récidive, un programme intensif de désensibilisation de sept jours. Durant ce programme intensif, le plagieur s’engage à produire un document original de dix pages sur une problématique de recherche qui lui est communiquée par son parrain de la LPA. Il est accompagné durant toute la semaine par ce parrain qui s’assure, par des contrôles inopinés, à toute heure du jour et de la nuit, sur son lieu de travail ou à son domicile, de l’originalité du travail du plagieur repenti et de la qualité de ses sources.

Les programmes de la LPA permettent généralement au plagieur repenti de reprendre sa place au sein de la communauté scientifique dont il est issu. Ils sont particulièrement adaptés aux cas des plagieurs individuels.

L’université de Jean-Edouard est précurseur dans le domaine du traitement du plagiat. Son président est sensible aux conséquences sociales et institutionnelles engendrées par les cas de fraudes avérées et de plagiat de certains membres du personnel académique. Pour les cas les plus difficiles où les activités du plagieur peuvent avoir des répercussions néfastes importantes pour le plagieur et ses collègues, elle a mis en place, avec des établissements partenaires, notamment à l’international, un programme de protection des plagieurs repentis dénommé Phoenix.

Ce programme est plus particulièrement destiné à permettre l’éradication des cellules collectives de plagiat – comme il en existe dans certains laboratoires de recherche – où la fraude est organisée de manière collective, notamment pour améliorer le h-index des individus, et plus globalement celui de l’équipe de recherche. Le repenti accepte de témoigner, de décrire le fonctionnement interne de sa cellule et de dénoncer ses collègues fraudeurs, en échange d'une immunité académique.

Dans le cadre du programme Phoenix, le plagieur reçoit une nouvelle identité et est intégré dans une université partenaire du programme. On lui invente un parcours professionnel et une production scientifique. Il a le choix entre plusieurs établissements pour sa réinstallation, de préférence de petites universités. S'il n'est pas possible de trouver un lieu approprié dans le pays, notamment parce que le plagieur y jouit d’une certaine notoriété, on le réinstalle à l'étranger dans une université partenaire comme celle de Rummidge dans les Midlands qui a déjà accepté d’accueillir plusieurs plagieurs repentis.

Il peut prendre avec lui des membres de son entourage immédiat, comme ses enfants ou son conjoint, mais il doit s'engager à couper le contact avec le reste de ses proches et surtout de ses collègues. Il peut ainsi reprendre une carrière académique, en sachant que le programme s’interrompra de lui-même à la première récidive de plagiat ou de fraude.

On lui conseille également de limiter sa pratique du tourisme scientifique, pour éviter d’être reconnu par d’anciens collègues.

Armand Darrain



[1] Association Internationale de Recherche sur la Praxéologie Universitaire à la Renaissance.

[2] Toute ressemblance avec des personnes existantes ou ayant existé serait purement fortuite.