Madame,

Je vous présente tous mes voeux pour cette nouvelle année 2006 et vous remercie et félicite pour la qualité de votre travail sur le plagiat Internet des étudiants. C'est un sujet qui me tient particulièrement à coeur et je vois dans vos travaux une source d'information importante et, selon moi, indispensable à tout enseignant responsable.

Je m'intéresse à vos travaux non pas seulement en ce qui concerne la "triche" des étudiants sur Internet mais de manière plus générale pour enrichir ma connaissance sur le statut de l'étudiant en soi, ce qui selon moi sous-entend ses objectifs, ses droits et ses devoirs.

En effet, au-delà de ces problèmes de tricherie qui dénotent selon moi plus d'une grande marque d'immaturité et non pas vraiment d'un problème de valeurs morales, je constate depuis à peu près trois à cinq ans un changement profond dans le comportement et l'attitude des étudiants. Ils viennent en cours uniquement lorsque l'appel est obligatoire, ils se comportent de manière extrêmement scolaire (seule la note compte et ils revendiquent une bonne note même si le travail est nul sous prétexte qu'ils ont travaillé), leur participation en TD tend progressivement vers le zéro absolu et surtout, comble du comble, ils ne savent même plus ce qu'est l'esprit critique (on peut leur faire gober n'importe quoi, ils ne réagissent pas). Faites-vous le même constat de votre côté ?

Dans cette perspective, la tricherie n'est plus alors une question de valeurs morales ou de désenchantement au regard du monde et de leur avenir, mais devient simplement un moyen comme un autre pour des esprits médiocres d'exprimer leur qualité première : la paresse. Vous allez certainement trouver un peu dure cette dernière remarque, mais j'ai bien peur, hélas, qu'elle reflète une triste réalité. En effet, face à ces étudiants qui selon moi ne sont même plus en situation d'échec (ils ne s'en aperçoivent même pas) mais en nature d'échec (même s’ils travaillent, ils n'apprennent plus grand-chose), le Professeur n'a selon moi que deux possibilités. La première, il les accompagne et cherche à créer chez eux les conditions qui provoqueront un début de motivation. Cette solution, que j'expérimente encore en dépit du bon sens n'est qu'un échec flagrant. La seconde, les renvoyer face à leur rôle d'étudiant : si ils ne veulent pas apprendre, ils quittent l'Université, sans leur donner la moindre explication.

En effet, je crois qu'il est extrêmement dangereux que ce soient les Professeurs qui se remettent en cause et non pas les étudiants et que toute tentative de dialogue avec eux venant de notre part sera perçue comme telle. Or chercher à leur démontrer que la vie vaut la peine d'être vécue, que leur avenir est prometteur d'autant plus si ils ont des valeurs morales, sort pour moi totalement du rôle de l'enseignant, du moins de sa responsabilité. Or si nous prenons ce parti, notre rôle risque de devenir très flou pour l'étudiant, en particulier pour cet étudiant nouvelle mouture qui n'a pas de grandes capacités intellectuelles.

C'est pourquoi je recommande la plus grande sévérité. Un étudiant qui triche doit systématiquement être sanctionné, car c'est seulement ainsi qu'il apprendra les valeurs morales. Aucune écoute ne doit être accordée aux raisons pour lesquelles il a triché, car cela laisserait sous-entendre que la tricherie peut parfois se justifier et ainsi par extension la malhonnêteté, et ainsi le vol, et pourquoi pas le meurtre ou le viol (je vais loin, mais je pense que dans certains quartiers dits défavorisés cette logique a atteint ce paroxysme en raison justement de cette tolérance). Il n'est plus temps aujourd'hui de comprendre, mais de sanctionner (ce qui fait partie du rôle du Professeur, l'apprentissage n'est pas juste question de savoir, elle est aussi valeur d'exemple et le Professeur doit prouver à l'étudiant qu'il a le courage de la tolérance zéro). Ainsi, je souhaiterais que soit mise en place une liste noire internationale des étudiants ayant triché. Une liste qui est à la disposition de tous les Professeurs pour leur permettre lors des recrutements aux enseignements de prestiges de savoir à qui ils ont à faire. La réalité de cette liste noire devra bien sûr être connue des étudiants (non pas dans son contenu pour des raisons légales, mais dans sa raison d'être), notamment en communiquant sous Internet sur son existence.

Les rôles, droits et devoirs de chacun, étudiants comme Professeurs, doivent aujourd'hui retrouver des fondations solides. Le progrès technologique a toujours bouleversé les valeurs morales, mais nos étudiants sont très loin de lire Habermas, Marcuse ou Marx pour s'en rendre compte... Aussi, je pense qu'il faut les responsabiliser et en cela leur faire comprendre que lorsque le risque se réalise tout est fini.

Je ne souscris pas du tout au point de vu des étudiants qui légitiment leur bêtise par une vision nihiliste de l'avenir. Je pense qu'ils sont malhonnêtes, car tout simplement ils ont été trop gâtés dans tous les sens du terme.

Je vous remercie encore pour votre action et vous prie d'agréer, Madame, l'expression de mes respectueuses salutations.

Gaël Le Boulch
Chercheur associé Crépa
Université Dauphine


//responsable-unige.ch