Professeur,

Vos messages concernant la déontologie dans la recherche m'ont fait réfléchir. J'aurais dû vous répondre avant, mais je voulais bien analyser le sujet.

J'avoue que je n'ai pas encore tout lu des rubriques proposées dans votre site dédié à ce sujet. D'abord parce que je n'ai pas beaucoup de temps car les termes utilisés dans ce site parfois dépassent mon français, mais de plus important je n'ose pas tout lire de peur de me trouver également concerné.

Au fond de ma pensée, je suis tout à fait d'accord avec vos réflexions. Mais en réalité les choses ne sont pas aussi simples.

Avant toute chose, j'avoue que moi aussi, j'ai fait des copier-coller dans mon mémoire DEA et dans ma thèse. C'est vrai, je sais bien que ce n'est pas bien, mais malheureusement j’en ai été capable.

Pourquoi ? On m'a souvent dit d'éviter de faire des "copies conformes". Si on est obligé, qu’il valait mieux changer un peu la structure, les mots, etc. Mais comme le français n'est pas ma langue maternelle, il est impossible de manipuler les phrases aussi bien structurées et condensées que celles des professeurs. J’ai toujours peur de modifier complètement le sens. Heureusement, jusqu'à maintenant, je suis resté dans la limite du tolérable.

Mais je risque de tout moment glisser vers l'inacceptable, car la frontière est très floue. On commence par une phrase en italique mise entre guillemets avec le nom de l'auteur, puis un paragraphe avec toujours une petite note de bas de page. Mais quand il s’agit de quelques arguments pas réellement majeurs, mais seulement utiles à l’articulation d'une idée à l’autre, on finit facilement par "oublier " la source.

Une fois, ça passe, deux fois ça passe. Et c'est comme ça qu'on se glisse inconsciemment vers la fraude. C’est encore pire avec les traductions depuis l'anglais, c'est pratiquement indécelable, sauf en ce qui concerne des grands auteurs. On oublie très facilement les auteurs qui ne servent que pour une phrase ou pour un paragraphe.

Quant à l'Internet, vous avez raison, c'est bien une source géniale d'information. On y trouve pratiquement tout ce qu'on veut en tapant des mots clés. On peut articuler les idées les unes après les autres.

Mais je voudrais aussi souligner que le système de formation qui n'est pas tout à fait "innocent" dans cette affaire.

Une rédaction qui s'évalue non seulement sur le fond, mais également sur la forme. Bien sûr on nous a appris à bien articuler, à bien argumenter et à bien rédiger une thèse, un article, un livre. D’abord une partie théorique avec toute la revue littérature (que tout le monde connaît déjà). Il ne faut pas oublier de citer tous les grands auteurs, il faut bien "équilibrer" les parties et les sous-parties en nombre de pages. Il faut faire un produit équilibré. Etc.

Mais ne pensez-vous pas que cela incite les jeunes chercheurs à copier, puisqu’ils ne peuvent pas faire mieux que ce qui a été déjà écrit. Il s’agit juste d’équilibrer leur texte.

Les doctorants que j'ai rencontrés ont un souci commun : quel nombre de pages doivent-ils rédiger. 500 ? S’ils arrivent à écrire quelques pages, la première question qu'ils se posent avec angoisse est « qui a déjà dit cela, et où ? » Car il y a toujours quelqu’un qui était là avant eux. C’est décourageant.

C'est comme ça qu'on fait la recherche quand on est doctorant. Donc, à mon avis, à côté de tout ce que vous avez fait concernant ce sujet, il sera préférable également de faire évoluer ces préjugés dans la pensée des jeunes chercheurs.
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Heureusement, mon directeur n’exige pas que je fasse une superbe thèse en terme d'épaisseur, plutôt mieux d'attaquer directement au sujet en n'écrivant que ce qui est indispensable. Justement, avec toutes ses précautions, j'ai fait déjà des copier-coller !

Voici quelques réflexions. Erronées peut-être, mais je vous les envoie quand même pour vous en faire part ainsi qu’aux professeurs/enseignants comme un témoignage d'un étudiant en espérant que cela vous apportera quelque chose de plus dans votre lutte contre cette fraude.

Je vous demande de m'excuser de vous avoir dérangé.

Mes meilleures salutations.

Tam Nguyen Phuong

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